Annouck Curzillat, aveugle et médaillée olympique

Des montagnes des Savoies aux sommets de Tokyo...

 

Le moins que l’on puisse dire c’est qu’Annouck Curzillat n’a pas froid aux yeux. Cette sportive de haut niveau ne s’est jamais mis de barrières et ce malgré le fait qu'elle souffre de cécité depuis sa naissance. Annouck vient de décrocher une médaille de bronze aux Jeux Paralympiques de Tokyo suivie d’une médaille d’or aux championnats d’Europe en triathlon. Et nous fait, aujourd'hui, l’honneur de revenir sur son parcours et sa relation avec ses chiens guides d'aveugles qui ont changé sa vie.

 

Comment en êtes-vous arrivé à ce métier ?

Très jeune, je savais ce que je ne voulais absolument pas faire un métier dit de bureau. Je voulais faire un métier de soin à l’humain ou à l’animal, me sentir pleinement utile. J’ai découvert l’Ecole des déficients visuels de Lyon où j’ai décidé de commencer des études de kinésithérapeute. 

A quel moment le sport est rentré dans votre vie ?

Originaire de la montagne, j’ai vite baigné dans l’univers du ski. Mes deux grands frères, qui n’ont pas de problèmes de vue, m’ont poussée, et mes parents n’ont jamais voulu faire de distinction. Ils ont toujours crus en moi « si Annouck le fait c’est qu’elle se sent capable de le faire ». Je ne me suis donc jamais mis de barrière, si un voyant peut le faire pourquoi pas moi. J’ai osé faire du sport qu’on pourrait ne pas croire accessible d’un premier abord comme le ski, l'équitation, le vélo.

Comment avez-vous connu le triathlon ?

Je l’ai connu à travers l’intermédiaire d’un ami, il s’est mis en tête de me trouver une personne pour me guider et il y est parvenu. Je ne connaissais pourtant rien à ce sport mais il savait que j’aimais les défis. Je n’ai pas imaginé une seule seconde que je deviendrai sportive de haut niveau.

Justement en quoi consiste ce sport ? 

Le triathlon c’est trois disciplines à exercer dans cet ordre précis : 750 m de natation, 20 km de vélo et 5km de course à pied. Je suis accompagnée par une seule et unique guide durant tout le parcours et c’est très réglementé. En natation nous sommes reliées par la cuisse, en vélo nous sommes en tandem et à la course à pied reliées par le poignet.

Comment se passe une telle épreuve, cela demande beaucoup de préparation ?

Dans ce type de course chaque seconde compte. Il faut un travail de coordination et de mémorisation énorme, comme une chorégraphie à apprendre par cœur. Il faut savoir gérer les transitions entre les trois disciplines : enlever une combinaison, mettre des lunettes, des chaussures de vélo, remettre le lien qui nous unit, partir du bon côté… Je dirais que c’est une discipline à part entière.

Qu’est-ce qui vous plaît dans le triathlon ?

Le triathlon s’exerce en milieu naturel ce qui rend chaque course différente. C’est un sport d’adaptabilité à l’extrême, on doit savoir l’exercer à n’importe quelle heure de la journée et peu importe la température extérieure, moi qui déteste la routine je suis servie. C’est un sport varié, c’est ce qui fait sa difficulté, mais aussi son charme. Rien n’est joué d’avance, tout ne se joue pas sur un sport et c’est ce qui fait aussi que tout est possible.

Que vous a apporté le sport dans votre vie ?

Sans conteste à me surpasser, à m’adapter sans cesse et me pousser à faire des choses que je n’aurai jamais osées avant comme aller seule à la piscine, où aller dans un lieu que je ne connais pas. Je me dis toujours mes concurrentes y vont si je leur laisse l’opportunité d’être meilleures parce-que je n’ai pas eu le courage d’y aller et bien j’aurai tout perdu. Cela me force à me mettre parfois dans des situations d’inconforts mais qui m’ont permis de gagner ma médaille.

Justement votre médaille, étiez-vous confiante face à vos chances de l’obtenir ?

La Fédération Française Paralympiques y croyait plus que moi, je m’imaginais finir quatrième. Mais dans le triathlon rien n’est joué d’avance et beaucoup de facteurs peuvent faire basculer une course.

Avez-vous compris tout de suite que vous étiez troisième ?

On avait mis en place une stratégie avec ma guide et le staff qui était de ne pas me dire ce qui se passait à l’arrière mais plutôt ce qui se passait à l’avant. Je ne supporte pas de me faire doubler mais par contre rattraper quelqu’un j’adore cela. Dans les derniers mètres ma guide m’a poussée au maximum, elle me criait dans les oreilles et le public aussi, c’est en passant la ligne d’arrivée que je me suis rendu compte que cela c’était joué à deux secondes après. C’était un rêve de vivre un tel moment, c’est la course d’une vie. 

Quel message souhaitez-vous passé sur le fait le sport et le handicap ?

J’aime l’idée que les personnes se disent même si on est différente, si on a des difficultés on peut quand même le faire. Elle est capable de le faire alors qu’elle est aveugle.

Comment avez-vous connu les chiens guides d'aveugles ?

Au collège j’avais une professeure de piano qui avait un chien guide et cette idée est restée dans un coin de ma tête mais je n’étais pas prête à ce moment-là de ma vie. J’ai attendu la fin de mes études de kinésithérapeute pour faire ma demande, consciente que j’allais avoir de nombreux trajets à faire et qu’il serait une aide précieuse.

A quel moment le chien guide est rentré dans votre vie ?

J’avais 21 ans lorsque Guinness est venu bouleverser ma vie. Elle est aujourd’hui à la retraite de manière anticipée chez mes parents car on lui a diagnostiqué un cancer de la rate incurable. Un vrai gros coup dur pour moi avant les Jeux Paralympiques. Depuis une semaine, je suis accompagnée par un nouveau chien guide Papaye, remis par l’Association de Chiens Guides d’Aveugles de Lyon et du Centre-Est. A chaque fois une nouvelle relation à construire.

Qu’est-ce-que le chien guide a changé dans votre vie ?

Je n’ai jamais été à l’aise avec la canne, pour moi, elle est synonyme d’échec car je ne maîtrise pas complètement ce que je fais. Avec elle, je suis obligée de tâtonner pour arriver aux passages piétons, chercher un escalier… Cela me rappelle sans cesse mon handicap visuel. Je veux le faire comme mon cerveau a envie de le faire et non comme mon handicap m’impose de faire. Le chien guide change tout, il est comme un prolongement de mon cerveau, de mes yeux, je pense la chose, je la dis à mon chien et c’est comme si c’était moi qui l’avait faite. A la canne, je me sens stéréotypée, comme une « pauvre petite dame », alors qu’avec le chien on ne voit pas mon handicap.

Cela-a-t-il changé le regard des autres sur vous ?

Indéniablement. Avec mon handicap, je suis souvent confrontée à des personnes mal à l’aise qui ne savent pas comment m’aborder. Le chien guide change complètement la donne. Les personnes commencent à lui parler, à m’interroger sur son éducation et me parlent directement, la magie opère, parce-qu’elles sont passées par l’intermédiaire du regard du chien qui du coup est comme un prolongement du mien. Je préfère expliquer aux gens le rôle de mon chien guide plutôt que d’expliquer que j’ai une canne, que je suis handicapée.

Votre relation avec votre chien guide ?

Je vis notre relation comme un échange. Je lui donne du confort, de la nourriture, de l’affection, je lui fais découvrir plein de choses, et lui en contrepartie il me prête ses yeux. On forme un vrai duo. Cela fait 8 ans que je le pratique.

Comment avez-vous vécu le retour à la canne après la retraite anticipée de Guinness ?

Le stress est revenu dans ma vie, j’avais peur de la mauvaise chute celle qui me priverait des Jeux. Je redoutais les voitures, les trottinettes, j’anticipais le moindre trajet. Avec l’arrivée de ce deuxième chien guide dans ma vie je n’ai plus l’impression de subir mon environnement, j’oublie les obstacles, j’ai l’impression qu’il n’y a plus rien dans les rues c’est une sensation tellement agréable.

Comment se passent les premiers jours avec votre second chien guide Papaï ?

C’est très prometteur, la chienne gère vraiment très bien. J’ai toujours eu un vrai feeling avec les animaux depuis toute jeune alors je ne m’en fais pas trop sur notre duo, elle m’apportera j’en suis sûre autant de satisfaction que la première.